François XAVIER


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Le camp de Dbayé


Selon les anciens du camp,
la nature de Dbayé
ressemble beaucoup à celle d’al-Bassa.

C’est l’un des rares camps palestiniens du Liban à n’avoir pas connu de véritables combats durant les événements du Liban. Pour éviter les effusions de sang, comme ce fut le cas à Tell-Zaatar en juin 1976, les combattants palestiniens ont préféré quitter le camp de Dbayé, situé dans la tranquille banlieue nord de Beyrouth, suite – probablement – à un arrangement discret avec Amine Gemayel et ses hommes. Mais il y a ceux qui sont restés dans l’espace qui les avait hébergés dès leur arrivée au Liban, plusieurs dizaines d’années plus tôt.
Ils racontent qu’à la fin des années soixante-dix, ils avaient vécu le profil bas, dans la honte. "Comment pouvait-on expliquer, en pleine guerre, à nos voisins qui nous avaient accueillis en 1948 les bras ouverts, que nous – les réfugiés palestiniens restés à Dbayé – ne leur voulions aucun mal", souligne un septuagénaire. Les habitants du camp préfèrent ne pas s’attarder sur cette époque sombre de leur histoire. Ils parlent plus facilement des années quatre-vingt, quand les forces présentes sur le terrain les ont acceptés, voire les ont aidés à vivre …
Ceux qui avaient quitté Dbayé durant la guerre sont donc rentrés au camp. Et les vieilles baraques ont été remplacées par des maisons en dur.
Ils sont tous originaires d’un même village en Galilée : al-Bassa, que les Israéliens ont appelé, plus tard, Shlomé. Ils sont tous palestiniens chrétiens de diverses communautés : grecque-orthodoxe, grecque-catholique, maronite et protestante. Ils étaient 500 familles – tous de la même localité – à arriver au Liban en 1948. Munis de leurs cartes de réfugiés, ils se sont installés à l’est de Beyrouth, dans un camp que l’on a construit pour eux à Dbayé.
En 1976, au début de la guerre du Liban, la moitié des familles palestiniennes installées dans ce camp de la banlieue chrétienne est partie. Certaines pour la Libye, pour le Koweït et d’autres destinations du Golfe, mais la plupart se sont déplacées vers diverses zones du pays, pour s’établir – un peu plus tard – à l’étranger, notamment en Europe du Nord, au Canada et en Australie.
Depuis 1995, ceux qui avaient fui le camp de Dbayé pour vivre dans d’autres localités du Liban, ou encore dans certains États arabes – comme la Libye et le Koweït – retournent à l’endroit qui les avait accueillis après leur départ de Palestine.
Durant leur absence, au cours des longues années de la guerre, des Libanais – déplacés ou non – s’étaient installés à leur place.
Actuellement, une bonne partie de ces derniers sont rentrés dans leurs villages tandis que d’autres vivent jusqu’à présent, sans problème, dans l’espace destiné initialement aux réfugiés palestiniens. Situé sur les hauteurs de Dbayé, le camp compte toujours 500 familles palestiniennes, comme avant la guerre, soit environ 2 000 personnes. Il est difficile à ceux qui ne connaissent pas la région de se rendre compte d’emblée que l’espace de Dbayé est un camp de réfugiés. Contrairement à Sabra, Chatila et Nahr el-Bared, Dbayé n’est pas doté d’un chef de camp nommé par l’Unrwa. La différence ne s’arrête pas là. Ici, par exemple, les maisons sont construites en dur, les ruelles propres et bien entretenues, et la surpopulation inexistante.
Et pour la plupart des jeunes et des moins jeunes du camp, bref pour tous ceux qui n’ont pas connu leur village d’al-Bassa, une éventuelle naturalisation serait comme le rêve devenu réalité. Leur sentiment d’appartenance à Dbayé est bien plus fort que la nostalgie qu’ils portent pour une localité inaccessible, qu’ils n’ont jamais vue. "L’homme est le fils de la terre qu’il habite", expliquent-ils.
Certes, à Dbayé, il y a ceux qui se souviennent de leur village natal, ceux qui ont gardé les clefs de leurs maisons, et ceux qui imaginent toujours quelle vie ils auraient vécue s’ils étaient restés en Palestine
À al-Bassa, situé à un peu plus d’un kilomètre de la frontière libanaise, les maisons n’ont pas été rasées. C’est le temps qui a eu raison des pierres. Comme beaucoup d’autres personnes de ce village de Galilée, Youssef Nehmé, la soixantaine, en possède des images récentes,. " Ce sont les enfants du village qui ont vécu dans un premier temps au camp de Dbayé, et qui ont choisi ensuite de s’établir sous d’autres cieux en Australie et en Europe du Nord, où ils ont été naturalisés, qui sont retournés voir la localité ", explique-t-il. " Les Israéliens n’ont pas démoli les vieilles bâtisses ; mais ils ont construit, tout juste à côté, leurs kibboutzim, et ils ont changé le nom du village ", ajoute-t-il. El-Bassa est ainsi devenu Shlomé.
Après le retrait israélien du Liban-Sud, beaucoup de familles habitant le camp de Dbayé ont tenté d’atteindre la frontière à Ras el-Naqoura, pour voir ce qu’est devenu leur village, souligne Boulos Dik, lui aussi sexagénaire.
Depuis qu’il est arrivé au Liban, Boulos n’a jamais quitté le camp de Dbayé. "Je n’avais nulle part où aller", explique-t-il. Si, une fois, durant la guerre qui avait opposé, en 1990, le général Aoun à Samir Geagea, il avait fui sa maison. Le camp s’était transformé en ligne de démarcation, et Boulos et sa famille ont trouvé refuge au Holiday Beach. C’est là que son père, âgé alors de 77 ans, qui était parmi les personnes qui avaient construit le camp de Dbayé, a reçu un éclat d’obus. Il est mort suite à ses blessures dans un hôpital de Jounieh. Il fallait alors retraverser les lignes de démarcation et revenir au camp pour enterrer l’homme qui avait gardé les clés de sa maison en Palestine. "Il n’y avait pas un chat dans les rues, j’ai retrouvé l’église et ma maison détruites et il fallait tout reconstruire", raconte Boulos, les larmes aux yeux.
Boulos, actuellement au chômage, n’a pas reçu de l’argent de l’Unrwa pour rebâtir sa maison. Ce sont ses enfants, dont certains sont mariés à des Libanais, de Alma Chaab et de Tyr, qui l’ont aidé à cet effet. Il ne dira pas qu’il a subi la guerre comme tous les Libanais, qu’il a vécu les mêmes souffrances et que – malgré tout cela – il n’est pas citoyen du pays qui l’héberge depuis plus de cinquante ans.
"Le Liban est le pays arabe qui a le plus donné aux Palestiniens, c’est ma deuxième patrie", souligne-t-il. "Mais, parfois quand je sors tôt le matin de chez moi, je vois les Libanais qui font la queue devant l’ambassade du Canada, et je me dis alors que si le pays n’arrive pas à assurer le bien-être de ses propres enfants, que pourra-t-il donc faire pour les réfugiés que nous sommes ?" L’idée est reprise par les jeunes du camp, qui sont confrontés au chômage et aux emplois précaires.
Car beaucoup de Libanais rechignent à employer des Palestiniens. Agé de 28 ans, Walid Faddoul précise qu’il n’a travaillé qu’une seule fois de sa vie, malgré ses deux diplômes techniques en électronique et en pâtisserie. " Mon CV effraie les employeurs : non seulement je suis un réfugié palestinien, mais aussi je suis né en Libye ", indique-t-il, désabusé. Avant de revenir au Liban, son père, actuellement au chômage, avait passé une vingtaine d’années à Tripoli.
Mais le jeune homme se rassure comme il peut. "Mes amis libanais ont eux aussi du mal à trouver de l’emploi", dit-il. Comme tous les jeunes du camp, Walid – à force de côtoyer des Libanais – a perdu son accent palestinien. Il indique que, mis à part ses déboires dans la recherche vaine d’un emploi, il est bien intégré au Liban. "Tous mes amis sont libanais et la discrimination envers les Palestiniens de Dbayé n’existe pratiquement pas", relève-t-il. Peut-être aurait-il aimé avoir quelques droits, spécialement en matière d’emploi.
Le droit de retour ? Walid ne s’y intéresse pas. Il veut tout simplement qu’on l’aide à régler ses problèmes actuels qui se résument en une question :
que faut-il faire pour vivre décemment, rester au Liban ou partir à l’étranger ? Boulos, Youssef, et beaucoup d’autres sexagénaires, bref tous ceux qui ont connu leur village d’origine, évoquent le retour avec scepticisme. "Certes on voudrait rentrer en Palestine, mais à al-Bassa et nulle part ailleurs", disent-ils.
Et ils savent que, si jamais, dans un futur proche ou lointain, ils auront le droit de traverser la frontière du Liban-Sud, ils devraient alors s’établir en Cisjordanie, dans les actuels territoires autonomes. "Nous avons toujours eu un statut de réfugiés et nous refusons de devenir un jour des réfugiés dans notre propre pays ; ce sera le cas si l’on nous refuse le droit de renter à al-Bassa", disent-ils. Un village d’origine qu’ils ont a peine connu, un village qu’ils aimeraient récupérer et reconstruire


Des maisons en dur ont remplacé les anciennes baraques