François XAVIER



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Le jour où la TV expira ...


"Quelque effort que fassent la Nature et la Fortune, elles
ne sauraient jamais égaler, par leurs productions, les
phénomènes admirables et les révolutions merveilleuses,
que l'imagination est capable de produire.
Et dans le fond, l'homme est-il si fort à blâmer de préférer
l'une aux autres ? La vérité place des notions dans la
mémoire : la fiction introduit des idées dans l'imagination.
Il s'agit seulement de savoir si les dernières n'existent pas
aussi réellement que les premières. Il n'est pas possible
d'en disconvenir : on peut soutenir même,
que l'imagination l'emporte sur la mémoire,
parce qu'elle est, pour ainsi dire,
la matrice des choses, au lieu que l'autre n'en est
que le tombeau."

JONATHAN SWIFT


Première Strophe

La sirène retentit. Il est dix huit heures. Un dernier rayon de soleil traverse la verrière recouverte de poussière. L'atelier est composé de petits enclos. Chacun compte quatre unités de travail. Quatre cages pour équarrisseur de métaux.
Il règne dans l'usine une chaude atmosphère. C'est un chaudron moite. Le bruit domine l'espace. Il est le seul, finalement, à pouvoir se faire entendre. Le chaos sonore explose dans sa brutale vérité.
Les dégradés camaïeux de l'astre de lumière apaisent un peu le regard noir que porte tout un chacun sur son lieu de travail. Et c'est bien normal, lorsque l'on y regarde de plus près.
Comme tous les soirs, Julien éteint sa petite lampe de bureau, son étoile, comme il l'appelle. Il range un peu son établi, enlève ses gants noirs et les enfonce dans un sac gris.
Il se lève. Difficilement, car ses reins le font souffrir. Depuis dix ans, il souffre ainsi, penché sur sa table, à fabriquer des petits systèmes d'horlogerie. Il est le maître du temps.
" Cela doit être difficile " , " quelle maîtrise dans l'approche de la minutie ", " quel travail de fourmi " ... Comme il les connaît, Julien, toutes ces phrases typiques de ces conversations fades, qu'il peut avoir avec ceux d'en bas.
C'est comme cela qu'il les appelle, ses concitoyens : ceux d'en bas.
Car Julien habite au dernier étage d'une tour HLM, à Drancy. Et cela lui donne l'impression de se détacher du monde. Il voit la civilisation au loin. Comme une toile d'araignée, brumeuse, noirâtre, laide.
Par contre il a les pieds sur terre, et encore ... Mais son esprit est ailleurs, toujours ...
Lorsqu'il travaille à son atelier, ce ne sont que ses mains qui agissent. Dans un rituel machinal, elles créent ces petits mécanismes. Son esprit, lui, vogue vers d'autres contrées. Il se passe les images de la télé, en vrac. Car Julien a peu d'imagination, alors il rêve du songe des autres.
Seul, sans ami, ni compagne, il est voué à la raillerie de ses collègues de travail. Son corps maigrichon le porte d'un lieu à un autre, mais pour lui, l'espace n'a pas de limite. Il se noie chaque nuit dans les limbes de ses voyages rêvés, et vit à l'envers. Julien s'épanouit dans ses chimères qui l'effrayent, mais la douleur du vertige est si douce au souvenir. Le jour, il somnole. Il travaille le temps, éteint. La lumière de ses yeux ne s'éclaire que lorsqu'il bascule dans l'autre monde.
Certains le disent fou, fada, simplet. Julien n'écoute pas.
Il connaît déjà la vérité.
Sa journée est finie, sa nuit s'estompe. Il va rejoindre son monde. A la nuit tombée, son parcours matutinal éclôt dans l'ombre de son esprit.
Dehors, le jour commence tout juste à s'éteindre. Le soleil est déjà caché par les constructions des hommes.
Les rues grouillent du monde du travail qui court à ses occupations. L'air est chargé de pensées, d'idées et de songes. Les mots glissent, furtifs, dans l'esprit des gens, parfois associés à des faits ou à des images ; parfois non. Juste des mots, comme cela, sans rien.
Seuls, ils existent pourtant.

boire
jaune
tableau
bébé
radio
voiture
désir
sein
amour

Julien est là, parmi tous ses mots qui volent dans l'éther pollué de cette rue qui le conduit, malgré lui, vers la station de métro. Il ne pense à rien, croit-il. Il marche les yeux baissés, regardant ses pieds. Son esprit semble arrêté. Mais non. Les images sont là. Le film peut alors reprendre. La mémoire de Julien laisse filtrer certaines scènes vues à la télévision la veille ou l'avant-veille : elles illuminent de leur perverse brillance le terne sentiment qui vit en lui.
Chaque image prise sur l'écran devient un tableau dans l'âme du jeune homme. C'est comme un kaléidoscope de mille couleurs qui court devant ses yeux, inondant ses pupilles. Parfois des larmes coulent sur ses joues lorsqu'il regarde la télé. Les images s'emmêlent et il ne peut plus contenir ces bouffées de bonheur, c'est trop beau toutes ces couleurs.
Il se met alors à pleurer comme un enfant. Embrassant l'écran, serrant contre lui les quarante centimètres de magie qui lui brûle la rétine. Il tient alors le monde entre ses mains.
L'image de cette société qui le rejette, cette fenêtre colorée aux lubriques vestales, ce cube mystérieux que le roi des clowns tenait dans sa main et d'où jaillissait une tête de pantin en bois, rictus peint dans des couleurs criardes. Le reflet de cette acerbe réalité le chavire à chaque coin de rue.
Mais que deviendrait-il sans elle ?
La télévision règne en maître dans cet appartement aux meubles épars.
Oui, il y a quatre télévisions chez Julien : deux dans le salon, une petite portable qu'il fait suivre partout - à la cuisine, dans la salle de bains, et même aux toilettes - et une dans sa chambre.
Sa fierté : la toute nouvelle Hitachi. Ce modèle permet l'incrustation de quatre chaînes supplémentaires sur le côté droit de l'écran. Il peut ainsi regarder cinq programmes en même temps.
C'est quand même plus facile, et moins fatiguant, que de zapper sur deux postes.
Quoique, le zapping l'amuse aussi. Cela lui rappelle ses débuts. L'époque héroïque où il n'avait qu'une seule télévision. Il passait son temps à sauter d'une chaîne sur une autre, tenaillé par l'angoisse de passer à côté de quelque chose d'important, de rater l'image du jour ...
Aujourd'hui, il commence ses soirées au salon, avec les deux télés. Puis, vers minuit, il regagne sa chambre. Il s'endort devant ses cinq programmes. Il croit être heureux.
Lorsque sa mère lui rendait visite, au début, elle trouvait cela amusant de le voir se tordre le cou devant ses deux postes. Mais le jour où elle s'est aperçue que Julien ne la voyait plus, ne l'écoutait plus, elle ne revint plus le voir. Elle mourut quelques jours plus tard de chagrin dans la solitude et le désarroi. Lorsque les policiers la découvrirent, étendue dans son rocking-chair, ils crurent à un empoisonnement tellement son corps avait souffert. Le juge d'instruction ordonna une autopsie.
Le médecin légiste s'exécuta et découvrit un petit organe desséché, recroquevillé sur lui-même, telle une éponge de mer exposée à l'air libre. C'était le coeur qui n'avait pas résisté.
Le désespoir avait enfin pu être matérialisé, pouvait-on lire sur les gros titres des périodiques.
Pour être plus juste, les journalistes corrigèrent d'eux-mêmes cette accroche racoleur dans les trois colonnes qui faisaient suite en précisant que les effets d'une possible crise de désespoir avait pu être observés sur le corps d'une dame de soixante treize ans, découverte décédée dans son appartement du XXème arrondissement.
Le corps a parfois de ces réactions que l'esprit même ne peut endiguer, et encore moins prévoir.
Julien apprit la nouvelle en regardant le journal de vingt heures sur l'A2. Mais il ne réalisa pas l'importance du drame.
Il hérita alors d'un petit capital qu'il laissa courir sur un compte d'épargne. Il s'était juste souvenu de son existence le jour où il avait vu une publicité pour le dernier modèle Hitachi.
Julien rentre chez lui généralement vers les dix neuf heures, après avoir pris son métro, son train de banlieue et fait ses petites courses.
Il enlève sa gabardine russe achetée aux puces et la suspend au portemanteau. Il prend ensuite sa portable. Une Sony fonctionnant sur accus. Il l'allume aussitôt et la porte en bandoulière.
S'il va à la cuisine afin de ranger un peu ou de se préparer quelque chose à manger, il daigne la poser sur le frigo. Il lui arrive alors de rester planté au beau milieu de la pièce, comme hypnotisé par le petit écran.
Abruti.
Cela lui a valu quelques déboires.
Un soir, il contemplait un reportage animalier. La glace au chocolat qu'il était en train de manger avait fondu et s'était mise à couler sur son pantalon. Il n'avait pas bougé, ne voulant point perdre une seule image. Il s'était contenté de se lécher les doigts de temps en temps ...
Julien se prépare alors un plateau-repas qu'il dégustera au salon ou dans sa chambre, suivant la tournure que prendra la soirée. Puis c'est la visite au trône blanc qui se fait toujours pendant Une famille en or car après, c'est impossible.
Il s'octroie un petit quart d'heure de battement pour aller s'oublier dans deux mètres carrés froids et humides. Une ampoule, nue, insolente et radieuse, se balance suivant les déplacements d'air.
Julien dépose son petit écran à ses pieds, en équilibre sur le petit tas que forme alors son pantalon, enroulé sur ses chevilles ; et, le cul à l'air, il regarde en alternance le début du 19/20 et le jeu.
Après, il n'oublie jamais de se laver les mains. Julien est toujours très propre, comme le lui a appris sa maman.
Il se rend donc à la salle de bains. Un décor multicolore : les couvertures de Télé 7 Jours tapissent murs et plafonds.
Un pauvre petit lavabo rose saumon émerge un peu de l'ensemble. Il est assorti d'une armoire de toilette vert pomme et d'un porte-serviettes bleu nuit. La baignoire-sabot est laissée à l'appréciation du client, blanc mat.
Julien retourne dans le salon. Trouvant le jeu débile, comme tous les jeux, il zappe alors sur Canal Quatre afin de retrouver l'inénarrable Antoine de Maunes qui disait à propos de l'inventeur du nouveau franc " le Président Pinay, mais son grand âge ne le lui permet plus. " Cela a fait beaucoup rire Julien. Il adore les pignolades de l'animateur-vedette de la chaîne criptée. C'est d'ailleurs le seul à le faire rire, même si parfois il ne comprend pas tout.
A vingt heures trente, c'est le grand dilemme : quel programme ? Il faut choisir parmi les six chaînes, plus Canal, plus les douze programmes du câbles ... A chaque fois Julien hésite, re-relit pour la énième fois le magazine télé, zappe comme un fou, ne restant que quelques secondes sur chaque chaîne, revient sur un programme qu'il croit aimer, puis repart, s'arrête, zappe, stoppe, retourne sur le câble puis revient sur TF1 pour un autre tour d'horizon chronologique, puis repart en arrière ...
Parfois le téléphone sonne, l'obligeant à arrêter son choix. Il ne sait alors où regarder. Le poste de droite ou bien celui de gauche ? Les sons s'emmêlent. C'est un peu la cacophonie. Mais cela n'arrive que très rarement, et encore. Depuis que sa mère n'est plus, le téléphone sonne beaucoup moins.
Las, Julien choisit au hasard deux téléfilms. Il se laisse ainsi bercer. Les yeux dans le vide. L'âme en compote. Il se laisse porter par le flot d'images et de sons. Un peu comme quelqu'un qui aurait fumé de l'opium. Julien flotte dans son living, entre ses deux nuages hertziens aux couleurs fades.
Il est enfin libre, pense-t-il. Sans attaches au monde extérieur, sans retenues. Peut-être est-il heureux à ce moment-là ?
Généralement, il s'assoupit devant ses écrans, toujours vers la même heure, aux alentours de minuit, assis en tailleur au pied de son fauteuil, ou vautré en travers les accoudoirs, les jambes pendantes. Il se réveille en sursaut et s'en va finir sa soirée dans sa chambre.
Le vendredi soir, pourtant, Julien veille jusqu'à minuit et demie sans s'endormir. Il a rendez-vous avec les filles de " O Plaisir ", l'émission de Playgirl.
C'est un peu son péché mignon. Il rêve comme un fou à toutes ces filles qui viennent se déshabiller pour lui seul. Julien se prend alors pour leur confident. Il note dans son cahier leur nom, leur histoire, le jour et le lieu où il les a rencontrées.
Elles deviennent ses amies.
C'est son jardin secret. Ses amours interdits.
Jamais il n'en a parlé à sa mère, car il sait qu'elle n'aurait pas aimé. Elle le lui a suffisamment dit de se méfier des filles, de ne pas fréquenter n'importe qui, de faire attention, les maladies, et maintenant le Sida, et puis ...
Ah ! cela a fait du mal à Julien.
Alors il n'y pense plus. Il se force à oublier.
Il ne fait rien de mal. Il ne fait que parler, échanger quelques idées avec ces jeunes filles. Juste que lques mots. Et il se tait. Il écoute. Juste cela : écouter.
Ce sont elles qui parlent. Lui, il les écoute. Et si parfois elles lui font des choses, c'est parce qu'il est gentil avec elles. Cela ne peut être mal, puisque ça fait du bien. Il aime cela, Julien, quand elles s'occupent de lui.
D'ailleurs, il ne regarde jamais les films pornos du premier samedi de chaque mois sur Canal Quatre.
Selon lui, c'est vraiment trop " cochon ". Julien préfère l'érotisme exalté et le pseudo-romantisme à l'eau de rose, couleur papier-journal un peu démodé, de " O Plaisir ".
Il retrouve ses copines dans sa chambre, sur son nouvel écran. Elles sont là, pulpeuses et coquines.
Assise dans son grand fauteuil en rotin, Cathy décroise lentement ses longues jambes fines. Laissant l'espace d'un instant un oeil malin se glisser dans sa vérité.
Elle porte un tee-shirt mouillé qui lui dessine très nettement la poitrine et vient tout juste couvrir son pubis.
fixant Julien de son regard vert amande, elle lui demande ce qu'il fait. Mais ne lui laisse pas le temps de répondre. Elle lui commande de se mettre à l'aise.
Julien monte un peu le chauffage. Il s'allonge sur le lit, sur la couette gris perle. Il n'a gardé que le haut de son pyjama qui le couvre à mi-cuisse.
Cathy joue un peu avec la pointe de ses seins au travers du tissu blanc. Son bronzage lui donne l'aspect d'une poupée de miel.
Ses cheveux blonds balayent ses épaules. Elle sourit. Elle s'abandonne quelques secondes, la tête en arrière, une main polissonne entre ses jambes.
Puis elle enlève sa dernière tenue. Se découvre aux yeux de Julien, nue. Authentiquement blonde, elle a le ventre plat qui descend jusqu'à son coquillage à moitié glabre, juste un peu broussailleux sur le dessus. Quelques blés coupés à ras cachent la petite rose endormie.
D'une main experte, elle présente à son compagnon d'un soir le détonateur de ses envies. Le sort délicatement
des fourrés et entreprend de l'humecter avec une noix de salive. Puis, avec son index expert, elle accomplit une rotation sur le petit bouton qui grossit un peu et s'empourpre joyeusement.
Julien se laisse complètement enivrer par la jeune fille. Son pyjama est un peu remonté sous la poussée de son sexe qui a suivi, lui aussi, l'évolution du tableau. Il pointe le bout de son nez. Repousse le tissu.
Julien respire maintenant de concert avec la belle Cathy.
A chaque rotation, elle émet un petit sifflement qui émane de ses lèvres à demi-closes. Et au même moment il se soulève vers le poste, demandant de l'aide, voulant encore grossier, comme pour s'envoler vers la grotte qui baille d'envie.
Julien souffre de cette tumescence qui semble vouloir ne plus s'arrêter. Parfois il aimerait en finir au plus vite, mais il doit attendre que la nature s'accomplisse.
Julien dévore des yeux la belle insolente, à demi-conscient, le visage en nage, les yeux brûlants.
Cathy a alors écarté la corolle rosée pour y introduire un majeur inquisiteur, fouillant avec ardeur le fondement de ses pêchés. La tête en arrière, tournant dans tous les sens, elle gémit, la langue enrôlant sa lèvre supérieure dans un geste d'une rare sensualité.
Julien explose alors dans un tourbillon d'étoiles. Ponctué par un remords qui n'a de cesse de le tenailler.
Maman ... Je t'en prie ...
Il s'endort ensuite très vite, quelques gouttes de plaisir sur le nez. La lampe de chevet reste allumée ainsi que le poste qui veillent au bon sommeil du propriétaire.
Voguant ainsi inconsciemment dans ses rêves d'enfant, Julien n'a pas le loisir de réfléchir. Son incroyable immaturité le protège malgré lui du monde qui l'entoure tout en l'avilissant. Car pour lui, la vie n'a de sens qu'à travers le regard tronqué du poste de télévision. Il avale l'information comme un nouveau-né son biberon, sans même en digérer le contenu, ni se donner la peine de l'analyser. Enfant perdu, il se rattache aux bouées lancées par le système et intègre malgré lui la mouvance silencieuse de la masse populaire manipulée.
Cristallisant son existence autour d'un seul pôle, il tombe dans les travers de la dépendance. Si bien que l'absence de l'astre médiatique ne pourra être comblée et entraînera une déchéance psychologique définitive.


Ce maudit jour de mai, comme l'appellera plus tard Julien, se termina dans la brume et le crachin aprèsavoir été baigné d'un joli soleil. Les lampadaires étaient allumés lorsqu'il quitta son travail.
Le ciel était mort. La journée était déjà finie ...
Julien s'enferma dans ses souvenirs et remonta le boulevard vers la bouche de métro. Il faisait noir, froid, humide. Il était dans le bleu, au chaud, sous les palmiers. Il marchait, souriant. Bêtement diront certains, naïvement penseront les autres.
Il était beau ce soir. Tout simplement.
Il rentrait chez lui, comme d'habitude, à deux minutes près, suivant son horaire.
Sitôt son manteau pendu, il prit son poste et s 'en alla à la cuisine. Il avait soif. D'amour aussi.
Et de compagnie. Mais seul le petit poste noir pouvait le réconforter. Il le posa délicatement sur la table et se mit à lui parler. Ce qui, à la vue des images et du son, donnait un ensemble assez incohérent pour qui ne serait pas au courant de l'histoire.
Mais Julien écoutait rarement ce qui sortait de la boîte.
Les heures passèrent. Il était bientôt l'heure du JT. Encore une page de pub et la vedette allait apparaître, costume et pochette, bien sur lui, coupe au carré, cravate assortie. L'air un peu niais. Mais c'est une vedette, alors on écoute ...
On se doit d'écouter.
C'est tout.
La distillation des mauvaises nouvelles, des crimes, et des horreurs quotidiennes allait encore faire pleurer Julien, comme presque tous les soirs, à l'annonce de ces choses pas belles.
La course des chiffres sur fond de house-music annonça la fin de la page de pub et ...
Trou noir.
Panne.
Néant ...
Plus rien. Le petit écran était vide.
Julien se rua sur le bouton on/off, pensant à un faux contact. Rien. Il regarda du côté des piles. Oui.
Bien sûr, les accus étaient morts. Il courut dans le salon, alluma le premier poste.
Rien.
Le second. Rien.
Julien vérifia le branchement électrique. Tout était normal. Il essaya de nouveau.
Rien.
Alors il alla dans sa chambre. Il commençait à sentir un léger frisson l'envahir. La peur était en train de lui tordre l'estomac. Il brancha le poste.
Rien.
- NOOOONNN !!!
Son cri avait traversé son âme, vrillé ses tympans. Il était abattu, à genoux devant la boîte noire.
En nage. Il sanglotait à gros bouillons, la tête dans ses mains. L'enfant avait perdu son compagnon de
jeu. Son unique ami.
Julien se leva au bout d'un long moment. Ses genoux commençaient à lui faire mal. Il avait soif. Il se moucha et descendit une demie bouteille de Volvic. Puis il alla s'asseoir dans le salon, devant ses deux
cadres vides , sans vie. Il se remit à pleurer. Il regarda sa montre. Il était vingt heures trente.
" Que vais-je faire ? "
Il avait les yeux dans le vague. Le vide de son esprit transparaissait alors. On aurait dit un boxeur sonné.
Rocky sans Adrienne. Roméo sans Juliette. Sevran son micro. Sabatier sans Patrick. L'image sans le son.
A cinq heures du matin, il se réveilla courbaturé dans son fauteuil.
Il alla se coucher.
Lorsque le réveil sonna, il se retourna et continua sa nuit.
Ce n'est que le surlendemain qu'il retourna à son travail. Un brassard noir cousu sur la manche de sa veste.
Julien portait le deuil.
Le sien.
Dix jours plus tard, on découvrit le corps de Julien.
Il s'était pendu dans son salon.
Il était monté sur l'Hitachi pour se passer la corde autour du cou dans un dernier instant de désespoir cathodique. Les deux autres postes qui avaient servi de contrepoids stigmatisaient la dépendance et la peur qu'engendraient en lui le monde télévisuel. Son absence ne pouvait qu'entraîner une fin tragique.

Julien était mort, soutenu par la télévision, à quinze centimètres du sol. Même absente, la terrible fée avait contribué à achever sa sinistre besogne
.