François XAVIER



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Le jour où la TV expira ...


"Quelque effort que fassent la Nature et la Fortune, elles
ne sauraient jamais égaler, par leurs productions, les
phénomènes admirables et les révolutions merveilleuses,
que l'imagination est capable de produire.
Et dans le fond, l'homme est-il si fort à blâmer de préférer
l'une aux autres ? La vérité place des notions dans la
mémoire : la fiction introduit des idées dans l'imagination.
Il s'agit seulement de savoir si les dernières n'existent pas
aussi réellement que les premières. Il n'est pas possible
d'en disconvenir : on peut soutenir même,
que l'imagination l'emporte sur la mémoire,
parce qu'elle est, pour ainsi dire,
la matrice des choses, au lieu que l'autre n'en est
que le tombeau."

JONATHAN SWIFT




Roméo et Juliette

La nuit tomba comme une fine pluie.
Une poussière d'ange pour apaiser les esprits trop échauffés par le tube cathodique. Bien malin celui qui avait su comprendre et interpréter le message ...
L'insondable méprise, le turbulent espoir, le térébrant désir : toute cette alchimie se mélangeait dans les cerveaux chauffés à blanc, pour n'être plus qu'un magma insondable.
Qu'allait-être leur avenir ?
Le destin n'existe pas, pensa-t-il. Tout est écrit.
Tu es seule responsable de ton futur, se dit-elle.
Ne pouvant se pencher ensemble devant la boule de cristal, ils laissèrent la nature changer le décor.
Ils se retrouvèrent l'un devant l'autre, nus, face à leur fatum, dans cette chambre un peu froide, sur ce lit trop grand. Les draps blancs laissaient flotter une idée de pureté dans l'abîme du silence hypocrite qui bétonnait l'espace.
Ils se regardaient droit dans les yeux. Ils n'osaient pas porter leur regard vers d'autres désirs,
de peur d'effaroucher l'amie, d'importuner le complice qui allait être le pilier des rêves de la nuit.
La colonne vertébrale d'une histoire sans queue ni tête, mille fois racontée, mille fois interprétée, mais que l'on aime toujours s'entendre narrée au creux de l'oreille.
Au petit matin, il y aura certainement bien des choses à dire, des révélations à confier, des secrets à avouer. Mais pour l'heure, la priorité voulait que seule la volupté habité l'âme et courtise les corps.
Il tendit sa main vers elle, lui frôlant le bout du nez dans un geste si simple que la beauté primaire de l'élan du bras ne pouvait être perçue que par un peintre. La lumière de la bougie dansait sur les murs.
Les ombres magiques parcouraient sans cesse la pièce.
Elles accompagnaient les amants vers l'autel de la délectation où ils s'enivreront.
Ils brûleront de passion, telles les torches des martyrs.
La société de production les avait bannis. Ils étaient ballottés d'un casting à l'autre, comme des morceaux de bois mort rejetées par les vagues, allant où le vent médiatique les poussait. Parfois, ils s'octroyaient une petite pause sur une scène de théâtre lorsque la tempête devenait trop violente. Ils se réfugiaient chez un parent, complice de leur infortune. Et en profitaient pour revoir leurs textes, et leur jeu.
Un éclair de bonté dans un monde de fureur.
Car le désert avançait et la vie s'en allait. Infortune ou foudre céleste ? Lorsque le désert avance c'est la déchéance, l'impossible combat.
Plus personne ne voulait plus y croire. Les souvenirs d'enfance s'étiolaient. Tout autour d'eux disparaissait. Le désert avançait, ponctuant leur impuissance. Ils gardaient la foi mais lorsque la nuit tombait, des images de tombes se dessinaient dans la pénombre de leurs âmes. Et le désert avançait. Alors il ne leur restait plus que ça : l'instant.
Elle lui prit alors la main, enfouie dans sa chevelure de jais et baisa tout simplement le poignet du jeune homme. Ses yeux commençaient à se baigner de larmes.
Elle sentit dans son ventre une terrible chaleur. Cela débuta par une brûlure, un tant soit peu désagréable, puis ce fût un torrent de désir et de passion qui coula dans tout son corps, la poussant invariablement vers les bras de l'homme qui était en face d'elle. Elle ne parvenait plus à se souvenir qui il était. Mais elle le sentait. Son odeur montait à elle en une colonne d'effluves pour lui chatouiller les narines et béer encore un peu plus ce puits d'amour comme une orbite énuclée.
Toute son âme implorait être enfin libérée de ce terrible poids qui pesait sur sa poitrine et qui
ravageait son ventre. Le feu rendait toute raison impossible. Il fallait que quelqu'un vienne.
Des images inondèrent sa pensée, anéantirent son pouvoir de raisonnement. Elle ne pouvait que succomber.
Le film défilait devant ses yeux interdits. Le passé, le présent et le futur s'entremêlaient. La vie lui souriait-elle enfin ?
Elle se savait libertine, et donc subversive. Mais quelle luxe que de se vautrer dans la luxure, à l'heure où les tabous régentaient la société, où les codes commandaient les sentiments !
Un ressort grinça. Le vieux lit lui rappelait la seconde perdue, la fuite des saisons, l'écoulement de la vie. Elle le vit. Elle lui sourit, puis se laissa aller. Que lui importait, finalement,
de savoir ? Lui, savait, disait-il, alors pourquoi ne pas le croire, ne serait-ce qu'une seule fois?
Pourvu que l'on ait l'ivresse.
Il laissa descendre lentement sa main vers le cou de la belle. S'approcha lentement vers sa bouche vermillon. Il y déposa un petit baiser à la commissure, juste sur la petite mouche. Cela réveilla un peu son ardent désir qu'il ne parvenait plus à cacher. Tout en s'embrassant à pleine bouche, il sentit une main le prendre délicatement dans une caresse.
Il ferma les yeux.
Quitta la réalité.
Il plongea profondément vers le fond de l'oubli, là où la jouissance est la plus forte, enfin libérée des contraintes. Il coula dans le trou noir de son âme et se sentit tout entier disparaître dans la finesse de la passion.
Ils n'étaient plus qu'une coulée de lave qui brûlait sur la banquise des draps froissés. La vie fondait comme une glace tout autour d'eaux.
Le mouvement même parvenait à n'être plus perceptible.
Seules comptaient dans cette nuit les secondes où sifflaient legato quelques plaintes au gré des ramponneaux du prince. Il glatit, exsudant sa fougue, fou de bonheur, brisant le miroir de son ego.

L'amour était en train d'accomplir son forfait, dans cette chambre oubliée des dieux, au quatrième étage du manoir endormi.