François XAVIER


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Le témoignage (envoyé le 27 juin 2002) de Sam Bahour
qui est un Palestinien Américain vivant avec sa famille à Al-Bireh,
près de Ramallah, en Cisjordanie occupée par Israël.
Il donne une idée de la vie sous couvre-feu militaire
et sous occupation, un aspect de cette vie
dont les médias ne nous parlent pas.

Les visiteurs qui se sont invités dans nos villes sont finalement passés chez nous: 16 soldats israéliens armés jusqu'aux dents sont entrés dans notre maison. Depuis quatre jours, ils fouillent Ramallah, maison par maison, tandis que nous vivons sous couvre-feu total.

Notre maison comprend trois appartements. Mes grands-parents vivent au rez-de-chaussée, nous vivons au premier étage et mes parents vivent au deuxième étage. Abeer, mon épouse, et Areen la plus âgée de mes filles ont passé toute la journée à cuisiner pour tuer le temps que nous passons assignés à résidence (en droit international, on appelle cela des punitions collectives). Il était 19 heures 30 lorsque Areen a emballé un plateau de "Haresah" tout juste sorti du four, toute impatiente à l'idée de l'envoyer à sa grand-mère qui se trouvait dans l'appartement du dessous. Lorsque nous sommes sous couvre-feu comme aujourd'hui, il nous faut, pour envoyer des choses en bas, les faire descendre dans un panier au bout d'une corde par la façade avant étant donné que nous ne pouvons pas mettre les pieds hors de chez nous. Lorsque le panier arrive à hauteur de la porte, mes beaux-parents savent qu'ils doivent ouvrir pour voir ce que nous leur avons envoyé. Cette fois-ci, Areen était seule à la fenêtre pour faire descendre le panier lorsqu'elle a vu le casque d'un soldat sur le pas de la porte de sa grand-mère au moment où le panier se trouvait à mi-parcours. Elle s'est dépêché de le remonter et a laissé la fenêtre ouverte. Elle est arrivée en courant nous dire que les soldats étaient chez nous. Elle avait peur, plus que jamais depuis que le couvre-feu a été décrété. Je venais juste de terminer une conversation téléphonique avec Corky, un journaliste du New York Daily News, et j'étais devant mon ordinateur.

Je suis allé regarder par la fenêtre et j'ai vu plein de soldats agenouillés devant la clôture de pierre qui se trouve devant notre maison. Mon père était avec nous à ce moment-là. Nous sommes allés nous asseoir en attendant ce qui allait se passer et quelqu'un a sonné à la porte. Mon épouse a répondu à l'interphone, c'était sa mère qui lui a dit que les soldats étaient là et que nous devions ouvrir la porte. Mais lorsque nous avons ouvert, à part Fadwa, la mère de mon épouse, aucun soldat n'est entré. Je suis allée à sa rencontre dans les escaliers et elle m'a dit qu'ils voulaient seulement que l'un d'entre nous descende. Je suis donc descendu voir ce qu'ils voulaient. Dans l'entrée de l'appartement de mes beaux-parents, j'ai vu une foule de soldats armés jusqu'aux dents et agenouillés en position d'alerte.

L'un d'entre eux braquait son arme sur moi pendant que je m'approchais. Je les ai salués et leur ai demandé ce qu'ils cherchaient. Il m'a demandé si je parlais l'hébreu, j'ai répondu que je parlais l'anglais et l'arabe. Il m'a alors demandé dans un parfait anglais qui se trouvait en haut. Je lui ai répondu que ma famille et mon père s'y trouvaient. Il nous a ordonné de sortir et d'aller en face de la maison. Je lui ai demandé si les enfants devaient aussi sortir parce qu'il faisait un peu froid. Il m'a répondu sur un ton sec : tout le monde! J'ai alors appelé mes proches dans les escaliers et leur ai dit de prendre leur carte d'identité. Pendant que j'attendais, le soldat a demandé à ma belle-mère où se trouvait Marwan Barghouti, comme si elle était censée savoir ça! Je lui ai répondu que bien que ma belle-mère portait le même nom que lui, ils n'étaient pas de la même famille. Ils viennent chacun d'un village différent. Il a dit sur un ton sarcastique: c'est Ramallah ici, non?! Je lui ai répondu qu'il était à Al-Bireh et non à Ramallah, que mes beaux-parents étaient originaires de Dir Ghassanah et que Marwan lui venait d'un village qui s'appelle Kober. Il avait l'air un peu perdu, j'ai donc répondu à sa première question et lui ai dit que Marwan était dans " leur prison ". Il a eu un sourire affecté et a semblé accepter la réponse qui est d'ailleurs correcte.

Mon épouse est ensuite arrivée avec mon père et mes filles. Areen, la plus âgée tremblait de peur. Je l'ai alors prise dans mes bras et l'ai emmenée devant les soldats qui étaient tout à fait entassés dans l'entrée, tous à genoux, leur arme pointée. Je lui ai dit: " regarde, ils sont comme nous, ils ne nous font pas peur ". Mon père a essayé de la réconforter aussi et lui a dit la même chose. Il avait envie de défier les soldats mais nous sommes parvenus à le convaincre de ne pas le faire pour éviter que l'un d'entre nous ne passe la nuit en prison. Areen s'est un peu calmée mais n'a plus dit un mot tandis que le soldat a ordonné à mon épouse d'ouvrir la porte du garage.
Je lui ai dit que la clé se trouvait en haut et qu'il lui fallait aller la chercher. Il a permis à mon épouse d'y aller et pendant que nous étions assis à l'attendre, j'ai dit aux soldats: " nous avons encore beaucoup de chemin à faire ". Personne n'a répondu mais 2 ou 3 soldats, de jeunes garçons, ont hoché la tête en signe d'acquiescement. Nous étions assis à les regarder, ils avaient tous l'air de craindre pour leur vie. Ils étaient sur une terre étrangère, dans la maison d'étrangers et devant eux, se trouvait une famille entière de Palestiniens (des terroristes, en d'autres termes). Ils nous regardaient serrer nos enfants dans nos bras pour tenter de les apaiser et de chasser leur peur.

Abeer est arrivée avec la clé du garage et deux soldats lui ont dit d'ouvrir le garage (en droit international, on appelle cela, faire office de bouclier humain). Elle a ouvert notre garage qui était vide. Les soldats apeurés y pénétrèrent, pas à pas, prêts à tirer. Il m'était impossible de dire s'ils étaient déçus de ne trouver que de la poussière ou s'ils étaient soulagés.
Les deux soldats sont retournés dans la maison alors que nous étions toujours assis à l'extérieur dans le froid et l'un des soldats nous a tendu nos cartes d'identité. Ma belle-mère leur parla en arabe: "peut-être qu'un jour, vous reviendrez en temps de paix et vous n'aurez pas aussi peur". Personne ne lui répondit.

Leur chef appela les autres soldats et leur dit de quitter la maison. Il passa devant nous et murmura un rapide " au revoir " comme s'il savait qu'il avait fait quelque chose de mal en violant notre intimité. Ils sont partis, un par un, sur le qui-vive. Ils avaient, en fait, fouillé toutes les appartements de la maison et ils s'y étaient réfugiés. Pendant qu'ils sortaient, on a entendu des tirs un peu plus haut dans notre rue. C'était sûrement une autre unité israélienne mais ils ne s'y sont tout de même pas risqués, ont préféré être prudents et lentement, ils ont fait demi-tour. Pendant qu'ils repassaient devant nous, un par un, chacun portant une arme lourde, un équipement radio ou un sac à dos, ma fille me serra très fort dans les bras. Au moment où le dernier d'entre eux a quitté notre maison, mon beau-père est sorti sur les marches. Frustré, il leur a dit au revoir et dans un anglais maladroit: "n'oubliez pas de revenir demain".

Après leur départ, nous avons constaté qu'ils avaient fouillé toutes les pièces et tous les placards du premier étage.

Nous sommes rentrés chez nous. Areen était beaucoup plus calme. Elle s'est approchée et nous a dit: "vous savez j'avais peur d'eux avant mais plus maintenant" Elle a poursuivi : "certains avaient l'air d'être gentils. Les pauvres, ils doivent avoir chaud avec leur veste, leurs gants et leur casque. C'est peut-être pour cela qu'ils ne nous ont pas parlé". Je lui ai assuré qu'ils étaient sûrement des gens bien mais que Sharon les forçait à faire ce qu'ils faisaient. Je fais mon possible pour qu'elle ne voit pas tous les Israéliens, même ceux qui ont violé l'intimité de notre foyer, comme des ennemis.

Finalement, la crainte de ces soldats casqués et armés courant librement dans notre rue est passée. J'attendais depuis longtemps le jour où ma fille ne vivrait pas dans la crainte de ceux qui seront un jour nos voisins.

Après nous être remis de notre dose quotidienne d'occupation, nous avons plaisanté sur le fait qu'ils auraient pu rester plus longtemps puisque nous avions les meilleurs desserts d'Al-Bireh à leur offrir. Plus sérieusement, ce soir, nous serrons nos filles dans nos bras plus longuement et nous les embrasserons plus longtemps parce que nous savons comment la journée se serait terminée si, dans la rue, l'un des soldats avait vu Areen faire descendre un panier juste au-dessus de la tête du soldat qui entrait dans la maison.

Que Dieu vienne en aide aux habitants de la maison qu'ils sont allés fouiller après la nôtre.

Toujours sous couvre-feu militaire,
Sam.