François XAVIER


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Les délires du mépris antipalestinien

par José Bové, Rony Brauman et Nahla Chahal

Que l'auteur du film "Shoah" fasse preuve d'une telle insensibilité aux souffrances d'un peuple, voilà qui a de quoi déconcerter.
Ignorants, bornés, arrogants : voici le portrait-type, selon le cinéaste Claude Lanzmann (Le Monde du 10 mai), de ces militants qui se sont mobilisés pour faire pacifiquement barrage à l'avancée des chars israéliens contre le siège de l'Autorité palestinienne à Ramallah.
La revue Les Temps modernes, qu'il dirige, a soutenu, en d'autres temps, le droit des peuples à la justice et à l'autodétermination. Claude Lanzmann peut aujourd'hui accabler de son mépris ceux pour qui cette cause demeure d'une brûlante actualité. Il peut tourner en dérision, dans un long point de vue, l'action de ces groupes citoyens sans évoquer, et moins encore condamner, la politique de colonisation en Cisjordanie et à Gaza, méthodiquement développée par les autorités israéliennes. Il peut tenir pour quantité négligeable le doublement de ces colonies juives dans les territoires occupés depuis la signature des accords d'Oslo, tout en s'indignant de l'ignorance dans laquelle se trouvent les "touristes humanitaires" des "raisons et concaténations qui conduisent à la situation actuelle".
Triste régression.
Ce que ces groupes ont accompli, pourtant, aucun gouvernement ou organisme politique ne le faisait, aucune institution humanitaire ne le pouvait. Leur action a bloqué l'étau dans lequel le gouvernement israélien s'était promis d'étouffer le président de l'Autorité palestinienne. Ces citoyens, en provenance des cinq continents, ont arrêté l'invasion et probablement la destruction de l'hôpital de Ramallah.
Grâce à leur présence permanente sur les lieux, l'hôpital a pu continuer à fonctionner tant bien que mal.
A force de ténacité et de courage physique (il en fallait, monsieur Lanzmann, contrairement à ce que vous faites mine de croire), ces groupes ont symboliquement brisé l'isolement des Palestiniens assiégés. Ils n'ont pas mis fin à cette guerre coloniale, mais ils ont démontré, par la diversité de leurs origines et la clarté de leurs positions, que l'exigence de justice, sans haine ni manichéisme, reste bien vivante sous tous les horizons de la planète.
C'est là, dans cette volonté incassable de rappeler que la résistance à l'oppression est un droit fondamental, que réside leur légitimité. Plus que quiconque, en maintenant avec leurs moyens dérisoires un lien entre la Palestine bouclée et le reste du monde, ces groupes auront travaillé à désamorcer la spirale de haine où se trouve entraîné le Proche-Orient.
Non, monsieur Lanzmann, ce n'est pas la "haine anti-israélienne" qui animait ces gens. Francs-tireurs pacifiques, ils ne visaient rien d'autre qu'une paix juste. Leur opposer "les hommes véritables (sic) des véritables brigades internationales", les abaisser au rang de "faux témoins" et de manipulateurs, c'est simplement faire preuve d'un insondable mépris pour les souffrances d'une population et pour ceux qui ne se résignent pas à cet état de fait.
Contrairement à ce que vous affirmez, Claude Lanzmann, sur un ton péremptoire, ces hommes et ces femmes ont visité Israël, rencontré des Israéliens et longuement discuté du conflit avec eux. Jamais leurs initiatives n'auraient pu avoir lieu sans la mobilisation des pacifistes israéliens.
Non, monsieur Lanzmann, ce n'est pas le camp du "bien absolu" que nous avons choisi. C'est, plus prosaïquement, plus fondamentalement surtout, celui de la défense des droits nationaux des Palestiniens reconnus par l'ONU. On rencontre aussi dans ce camp, vous semblez l'oublier, des citoyens israéliens, militants des droits de l'homme, des officiers et des soldats, des intellectuels qui, en d'autres temps sans doute, auraient pu être des lecteurs des Temps modernes. Ceux-là même, d'ailleurs, qui se dressent contre la propagande que vous relayez avec tant de légèreté.
Ils savent, comme tout le monde, sauf vous, qu'il y a bien longtemps que les Palestiniens de la bande de Gaza n'ont plus le droit de travailler en Israël. Ils savent, eux, que les négociations de Camp David n'en étaient pas et que c'est Ehud Barak qui a brutalement interrompu les pourparlers de Taba (où fut mis sur la table un véritable plan de paix, effectivement), par peur de perdre les élections.
Non, monsieur Lanzmann, nul ne croit que "des barbares arrachent les oliviers par plaisir, qu'ils détruisent les maisons au bulldozer ou les font sauter à la dynamite par sadisme pur".
Ce sont des soldats qui le font parce qu'ils ont reçu l'ordre de le faire. Et ce sont ces ordres infâmes que refusent d'exécuter les objecteurs de conscience israéliens.
Si vous aviez pris la peine de passer quelques jours dans les territoires occupés, si vous aviez cherché à savoir à quoi y ressemble la vie quotidienne, vous qui affirmez si bien connaître la réalité du Proche-Orient, vous auriez honte de la travestir en une "plainte des communicants Palestiniens, plainte rodée, théâtralisée". Vous auriez compris depuis longtemps que la sécurité d'Israël n'a pas d'autre avenir que celui de la justice rendue aux Palestiniens et, dans l'immédiat, l'assurance de leur protection.
Non, monsieur Lanzmann, la raison d'être du voyage en Israël des écrivains qui se sont exprimés dans les pages Débats du Monde, ce n'est pas de "dénoncer Israël, essence et existence confondues, comme l'incarnation du Mal". Rien, dans leurs propos ni dans ceux des volontaires des missions civiles, ne vous autorise à leur attribuer cette pensée stupide et odieuse. Leur ambition n'est autre que de témoigner d'une situation insupportable et de réduire, si peu que ce soit, la disproportion des forces en présence en s'adressant à l'opinion publique.
Que l'auteur du film Shoah fasse preuve d'une telle insensibilité aux souffrances d'un peuple, que le directeur des Temps modernes se montre si hermétiquement fermé au scandale politique et humain d'une occupation qui dure depuis trente-cinq ans, voilà qui a de quoi déconcerter. Mais passons, car ces contradictions sont les vôtres, après tout.
Reste le conflit, dont l'issue semble s'éloigner de jour en jour. Avec l'entrée au gouvernement du général Effi Eitam, un exalté raciste partisan du "Grand Israël", et avec les récentes déclarations du premier ministre, il est certain que le blocus, les bombardements, les détentions administratives et autres punitions collectives vont se poursuivre, que la répression va continuer de tenir lieu de politique.
Le refus opposé par Ariel Sharon à toute commission d'enquête, même exclusivement américaine, sur l'attaque de Jénine est un message éloquent en ce sens.
C'est ce camp d'éradicateurs, cette stratégie jusqu'au-boutiste de kamikaze que vous défendez aujourd'hui.
Pourquoi ?
L'armée israélienne, nous en convenons volontiers avec vous, "n'est ni un ramassis de voleurs, ni une bande d'assassins". C'est une armée d'occupation. Cela suffit pour justifier la réprobation, non pas d'Israël en tant que tel, mais de sa politique d'expansion. Ce pays, écrivez-vous, "est une démocratie et une puissance". Une puissance, certes, qui pourrait le nier ? Mais une démocratie ? Pas tant qu'il opprimera un autre peuple.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, en définitive : du droit d'avoir des droits. C'est ce principe fondateur de toute politique décente que les volontaires des missions civiles et les écrivains sont allés défendre aux côtés des Palestiniens à Ramallah. Il est affligeant de constater que, sous les auspices de Sartre ("un Parlement à lui tout seul", avez-vous écrit), vous accablez d'insultes et de sarcasmes des hommes et des femmes qui se sont mobilisés pour le seul combat qui vaille : celui de la liberté et de la justice.

José Bové est chargé des relations internationales de la Confédération paysanne.
Rony Brauman est médecin, ancien président de Médecins sans frontières ; il enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris.
Nahla Chahal est coordinatrice de la Campagne civile internationale pour la protection du peuple palestinien.