François XAVIER


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DARWICH VU PAR FRANCOIS XAVIER

L'e-terview de Frédéric Vignale :
François Xavier, poète et méditerranéen analyse et commente l'oeuvre du poète palestinien Mahmoud Darwich, écrivain militant et nationaliste à l'écriture rare et sensible. C'est l'occasion d'une rencontre très émouvante et d'un dialogue implicite de toute beauté entre ces deux hommes à travers le prétexte du livre.
François Xavier nous parle de ce livre et de lui-même

1. François Xavier, vous publiez chez iDLivre "Mahmoud Darwich et la nouvelle Andalousie", comment avez-vous connu l’œuvre de cet auteur, et pourquoi se fait-il qu'un déclic aussi fort s'est produit en vous à la lecture de ce dernier ?
Je ne sais plus très bien quand nos destins se sont croisés. Il y a plus de vingt ans, c’est un fait ; j’ai l’impression d’avoir toujours connu cette œuvre, sans doute parce que je suis méditerranéen, comme Darwich, donc imprégné de toutes ces cultures millénaires qui ont été brassées autour du bassin. Mes frères sont tous autour de cette mer fermée si ouverte aux hommes de bonne volonté. Enclin à partager et à connaître les autres cultures qui m’entouraient, j’ai toujours eu envie d’aller voir de l’autre côté de la rive ; et donc, en toute logique, je me suis très vite intéressé au monde arabe, à cette culture unique si riche et si avant-gardiste de notre société. A bien y regarder, ceux que l’on nomme " les arabes " ont apporté, bien avant les grecs et les romains, les embryons de notre société contemporaine, sur le plan des sciences humaines, sociales et technologiques. Ainsi je suis le produit d’un mélange subtil de cananéens et de phéniciens, de mamelouks et d’ottomans, de perses, etc. Tous ces peuples donnèrent, de part leur différence, cette richesse unique à la culture méditerranéenne.

2. La première rencontre véritable avec Mahmoud Darwich a dû être un grand moment d'émotion ?
En effet, et le hasard – ou la main de Dieu, comme vous voulez – a fait que cela s’est passé le jour de ma fête. Double clin d’œil du céleste pour nous dire que nos différences doivent nous enrichir plutôt que de nous diviser. Mahmoud, musulman et ne parlant pas très bien français, n’a pas compris tout de suite cette histoire de saint, il pensait que c’était mon anniversaire et voulait me faire un cadeau … Nous nous sommes vus à Saint-Germain-des-Près. Je me souviendrais toujours du silence qui précéda son entrée dans le petit salon de son hôtel. Cet homme a un tel charisme, une telle aura que les gens se sont tus à sa venue. Pas de l’avoir reconnu, je ne pense pas, il n’est pas médiatisé ici, mais par la majesté qui émanait de son être. L’humanisme de son cœur rayonne de lui. Outre un physique avenant pour un homme de soixante ans, on devine de suite l’extrême gentillesse et cette volonté absolue, totale, de partager. Malgré sa profonde tristesse – lors de notre entrevue Tsahal bombardait la bande de Gaza à coups de F15 – et sa soif de justice, il n’avait de cesse de clamer la concorde, l’entente, le partage. Un moment inoubliable.

3. A la lumière des événements actuels, votre livre est diablement d'actualité et offre un éclairage original et précieux sur tout un peuple à travers le témoignage d'un seul homme.
En effet, Darwich a su cristalliser dans ses textes – poèmes, articles, récits – tout le désespoir et l’amertume des palestiniens, mais aussi leur formidable force de résistance, leur engagement, leur lutte – à mort trop souvent – pour être reconnus ; mais aussi leur extraordinaire espoir, qu’un jour ou l’autre, la justice leur sera rendue et leurs droits sur leurs terres reconnus. En quelques lignes vous parvenez à comprendre tout ce qui s’est passé depuis plus de 50 ans dans les cœurs et les cerveaux de ces gens. Mais aussi pourquoi ils ont ainsi du recourir au " terrorisme " pour se faire entendre, tout comme nos maquisards dans la guerre de 39-45, ce que Michel del Castillo a osé dire dans les colonnes du Monde il y a quelques semaines. La guerre du pauvre, du démuni, du désespéré c’est une forme larvée de combat, faute de moyens, c’est la résistance à tout prix, même au prix de son propre corps comme ultime arme. Il n’y a là rien de machiavélique ni de monstrueux, c’est le résultat d’une logique politique d’un adversaire trop fort. On ne peut condamner celui qui meurt en combattant pour défendre la terre qu’on lui a volée. Même l’état-major israélien a osé dire qu’au XXe siècle aucune guerre coloniale n’avait triomphé, et qu’il fallait donc stopper les colonies et rendre la terre aux palestiniens, mais les politiques et les extrémistes religieux ne l’entendent pas de cette oreille …
Sur mon site (www.francoisxavier.net) je cite un extrait d’une déclaration d’une mère dont la fille est morte dans un attentat, à Jérusalem le 4 septembre 1997, c’est extraordinaire de sang-froid et d’humanité dans l’analyse : "Ma fille est une victime de la paix. Je n'ai rien contre les terroristes, je me plains de ce gouvernement. Cette attaque démontre combien mon père avait raison : seule la formule de deux Etats pour deux nations séparées par une frontière et incluant la partition de Jérusalem constitue la solution. Ces attentats sont la conséquence directe de l'oppression, de l'esclavage, des humiliations et de l'état de siège imposé par Israël au peuple palestinien. Ces attaques sont des réponses à nos actes. Je n'ai là-dessus aucun doute : ces attentats sont les fruits du désespoir et la résultante directe de ce que nous, Israéliens, avons fait jusqu'ici dans les territoires. Ce gouvernement fait tout ce qu'il peut pour détruire la paix. Je n'ai pas de critique particulière à l'encontre des terroristes du Hamas, c'est nous qui les avons fabriqués. Côté palestinien, il n'y a pas une famille qui n'ait été atteinte par la mort que sème Israël. Tout ce que nous faisons dans les territoires, c'est de produire chaque semaine quelques kamikazes potentiels de plus. Ils sont notre miroir. Bien sûr, le terrorisme auquel ils se livrent paraît plus atroce que les bombardements perpétrés par notre armée sur les camps de réfugiés mais, au fond, les dommages que nous causons sont pires (...)."
Le gouvernement en question était celui de Nethanyaou, qui vient de battre Charon dans une consultation du Likoud (et qui risque bien d’être le futur premier ministre en 2003) pour affirmer qu’il n’y aura jamais d’état palestinien ; comment voulez-vous respecter ces gens là ? D’autant que toutes les semaines, toutes, il se crée une nouvelle colonie sauvage dans les dits " territoires autonomes ", mais ce terrorisme d’état n’est jamais dénoncé. Deux poids, deux mesures. Ya basta !

4. Quand on lit Darwich on est frappé par la simplicité de ses mots, par l'évidence de ses visions, est-ce aussi évident dans la langue maternelle de l'auteur ou est-ce du à la traduction ?
La langue arabe est très riche de sens et de contre-sens, il suffit d’une accentuation pour modifier le mot ; il y donc un soin particulier qui est apporté à la recherche du mot juste. Cela surtout pour créer une musique unique : la poésie de Darwich est musicale, son rythme, ses mots s’apparentent aux anciennes techniques pré-islamiques. C’est magnifique. Même si vous ne comprenez pas l’arabe en l’écoutant psalmodier ses poèmes vous comprenez le sens, vous riez avec lui, vous pleurez avec lui ; c’est là toute la magie de la langue arabe et du vers darwichien. Et les traductions faîtes par Elias Sanbar sont merveilleuses car elles permettent de conserver la richesse de la langue et sa musicalité. Par contre, il faut oublier celles d’Olivier Carré, dans le volume publié au Cerf, qui sont une catastrophe tant sur le plan des mots mais aussi du sens, il n’a pas su percevoir la sensibilité arabe.

5. Qu'est-ce que la philosophie arabe peut nous apprendre, nous enseigner en ces moments troubles de l'histoire ?
La TOLERANCE ! D’Avicenne à Avéroés, sans oublier Ibn’Arabi, tous les philosophes arabes, d’Andalousie à la Perse, n’ont eu de cesse de clamer la tolérance, le respect de l’Autre. Les juifs et les chrétiens étaient sous protection dans l’Orient d’avant la déferlante occidentale … L’exemple que j’aime à rapporter est le suivant : Saladin ayant vaincu les croisés à Jérusalem (al-Qods pour les arabes) s’est vu proposer par ses généraux d’aller prier dans la basilique de la nativité, or il s’arrêta sur les marches et s’agenouilla face à La Mecque et pria ainsi, dehors. Devant la mine déconfite de ses hommes qui le questionnaient, il leur dit qu’il avait sciemment refusé d’y pénétrer car ils en auraient ensuite fait une mosquée, or il voulait que les chrétiens puissent conserver leur lieu de culte, et il précisa qu’ils étaient sous sa protection et qu’il trancherait lui-même le cou du premier qui s’en prendrait à un non-musulman sous prétexte d’être un infidèle. Tout cela pour vous dire que les délires de certains fondamentalistes de nos contemporains n’ont rien à voir avec la religion et la philosophie arabo-musulmanne.

6. Le regard d'un poète sur un autre poète est une des richesses de votre livre, pas de luttes implicites d'égo entre Darwich et vous pendant la construction de l'ouvrage ?
Dieu m’en garde ! Ecrire sur un maître n’entraîne pas ce genre de réaction. Au contraire. C’est pour cela que j’avais débuté il y a quelques années par un article pour la revue Poésie Première (www.editinter.net) où je ne parlais, d’ailleurs, que de ses textes militants. Une façon aussi de pousser un cri de colère qui m’étouffait et de commencer à m’attaquer au mythe. Cela m’a demandé beaucoup de temps pour oser poser un regard " critique " sur les textes, et parler aussi de l’homme, car Darwich est secret et sa vie privée ne regarde que lui, même s’il est devenu un homme public. J’ai tellement de respect pour lui, pour son œuvre et son parcours, que j’ai du m’y prendre à trois fois avant de réussir à tenir le plan. J’ai eu aussi la chance d’avoir un éditeur de qualité qui a su combattre mon orgueil et me renvoyer à mes dossiers tant que le livre ne tenait pas.

7. Le poème ou la citation de Darwich qui vous touche le plus ?
" Inscris ! je suis arabe. " ; à laquelle j’ajouterais cette petite blague qui résume bien l’impasse politique dans laquelle nous sommes : " c’est l’histoire d’un juif qui rencontre un autre arabe. ".
Darwich est le seul a dire tout haut que israéliens et palestiniens sont sémites, ont une mémoire commune, une culture commune ; ils peuvent, ils doivent vivre ensemble. Cela pour les séfarades, bien entendu. Après il y a eu la venue des ashkénazes et c’est là que la politique est venue tout casser, comme d’habitude …

8. Avec quel écrivain français Darwich a-t-il de grands points communs, une humanité ou un style proche ?
Genet sans aucun doute pour l’engagement et le désir de justice. Côté style, donc technique dirons-nous, il n’y en a pas, Darwich est unique, et même traduit, ne se rapproche pas d’un arabe francophone ou d’un autre auteur, pas à ma connaissance. Et puis je n’aime pas le jeu des comparaisons, untel avec untel, c’est tomber dans un marquage, une forme névrosée de raccourci qui réduit la pensée. Chaque écrivain est unique, possède un son, un texte, une philosophie. Chaque écrivain s’entend, pas les scribouillards qui pondent 5 livres l’an de 70 pages vendus comme des paquets de lessive.

9. Votre écrit fut d'abord un article, pouvez-vous nous expliquer de quelle manière il est devenu quelques années après un livre, et pourquoi cette volonté d'en faire un travail littéraire à part entière, comme un témoignage de reconnaissance et de sacralisation autour de Mahmoud Darwich ?
Comme je le disais précédemment l’article m’a permis et de pousser un cri de colère et d’oser approcher l’œuvre d’un maître. Ensuite, il y a eu cette idée de Nadera Belaid, la directrice littéraire d’iDLivre qui m’a demandé de reprendre l’article, de l’actualiser pour un projet de recueil avec d’autres auteurs. Et je me suis dis qu’il serait alors plus judicieux de faire un véritable travail littéraire d’analyse, d’autant qu’il n’y a pas d’essai en langue française sur Darwich, ce qui est un peu fort quand même. Mais je n’ai pas voulu sacraliser quoique ce soit, juste donner envie de lire Darwich, d’offrir aux gens une passerelle pour aller voir ces " arabes " que l’on diabolise, apprendre à connaître leur culture au-delà de la religion (il y a des chrétiens, des juifs et des musulmans en Orient ! qu’on se le dise, pas uniquement des fondamentalistes fous furieux !) ; et surtout rétablir des vérités sur la Palestine, sa culture, son histoire, son peuple. Je ne peux pas supporter d’entendre ce slogan sioniste qui justifie Israël comme " une terre sans peuple pour un peuple sans terre " ; c’est insultant et tellement injuste !

10. L'écriture de Darwich est engagée, militante, nationaliste, s'inscrit-elle dans une grande tradition poétique ou c'est tout simplement un cheminement personnel d'un homme libre ?
Il y a deux poésies dans l’œuvre de Darwich. La première est forcément celle du cœur, de l’amant, du poète … très vite détournée comme " je me languis du pain de ma mère " que le chanteur Marcel Khalifé a mis en musique et qui est devenue un hymne national, alors que le jeune Mahmoud ne parlait que de sa maman, pas de la mère patrie. Ainsi projeté dans la tourmente militante, Darwich a ensuite écrit des textes forts, durs, pour crier sa révolte. Le plus dur, d’ailleurs, " vous qui passez parmi des paroles passagères ", n’a jamais été repris dans un livre, car il veut faire la part entre son œuvre et son action militante. Depuis les accords d’Oslo – qu’il a dénoncé – il s’est remis à la poésie de ses premiers amours, avec " le lit de l’étrangère " ; mais il demeurera toujours, quelque part, un peu de nostalgie, d’engagement ; c’est normal, Darwich est doublement exilé : il porte l’exil du poète, toujours ailleurs en lui-même, et l’exil du citoyen palestinien vivant en réfugié dans un pays qui n’est pas le sien.

11. Le poète fait-il de la politique comme le bourgeois gentilhomme faisait de la prose... ?
Pas du tout ! Comme je viens de vous le dire, l’engagement politique de Darwich a été forcé par le destin. Ensuite, comme tout écrivain, il a pris sa part dans la marche de la cité ; je le vois plus comme un poète troyen – définition qu’il aime bien d’ailleurs se donner -, celui qui participe, qui anticipe la vie de la cité. Et puis, dans le monde arabe, la politique fait aussi partie intégrante du quotidien, au café on parle beaucoup, surtout dans les pays totalitaires puisque l’on ne peut pas voter pour un autre candidat que celui du parti unique, on cause, on cause … La politique, en Orient, est affaire de famille surtout, on est politicien de père en fils, les grandes familles se partagent le pays, mais aussi veillent sur la population, c’est une politique de proximité, les gens viennent dans la maison du Raïs local pour se plaindre, régler un différend, demander de l’aide, une bourse d’études, etc. ; rien à voir avec la pompe et la morgue occidentale, en Orient la politique est en phase avec la vie quotidienne, même si elle dérape au sommet du pouvoir, comme partout …

12. On sent chez tous les écrivains méditerranéens une souche commune, un amour de la terre très fort, avez-vous été sensible à cette "internationale poétique" très typée ?
Bien évidemment ! Je suis un homme du sud, de la Provence, et lorsque je me promène dans le Chouf libanais, dans la campagne palestinienne ou dans les vergers grecs ou italiens j’ai la même émotion, les mêmes sons, les mêmes odeurs ; je suis chez moi. Par contre, je ne ressens rien dans les fjords, désolé. C’est la latitude qui veut ça, nous sommes réceptifs aux odeurs, sons, couleurs … Nous sommes méditerranéens, c’est une " race " comme les nordiques, donc en toute logique nous nous retrouvons sur des valeurs communes, sans nous préoccuper de savoir si l’un est chrétien, musulman ou juif. L’appartenance à un groupe n’a pas d’importance, avant tout c’est l’humain, l’accueil, le dialogue. Tous sémites, en quelque sorte …

13. On sent que la tradition orale n'est pas très éloignée dans le travail de Darwich ?
Elle est même intrinsèquement liée à sa poésie. Lorsqu’il écrit, toujours à la main sur du très beau papier, au stylo à plume, il s’enferme dans le silence, et relis à haute voix son texte parfois, car, là aussi, la tradition méditerranéenne, et arabe, veut que le texte soit écrit pour être lu à haute voix.

14. Qu'est-ce donc que cette "nouvelle Andalousie", titre magnifique de votre ouvrage ?
C’est une utopie. Mais il ne nous reste plus que les rêves pour sortir de la pensée unique. C’est un double message : en rapport avec l’Andalousie perdue, mythe de la défaite arabe, toujours marquée dans l’inconscient collectif des orientaux musulmans, mais c’est aussi l’espoir de reconstruire une société sur les mêmes bases, celles d’un âge d’or de la tolérance, de la cohabitation inter-religieuse. Malheureusement les deux derniers exemples du XXème siècle, Beyrouth et Sarajevo, ces deux îles au cœur du monde, ont explosé face à la bêtise et à la spéculation.

15. Comment a été accueilli votre ouvrage dans le monde arabe ?
Magnifiquement bien. Mais ce n’est pas très difficile de prêcher un convaincu (sic). J’ai eu un très bel article dans le quotidien libanais arabophone an-Nahar, et un autre dans le journal francophone L’Orient-Le Jour. Les librairies spécialisées sont preneuses aussi en France, en Suisse, au Canada … Mais l’on reste toujours sur le terrain " connu " ; ce qu’il faut c’est que ce livre soit lu par ceux qui ne connaissent pas cette histoire du monde mais qui s’y intéressent, c’est comme cela que l’information passera et que les mentalités changeront.

16. J'ai été extrêmement touché par les "cris" de Darwich contre la guerre, notamment quand il parle de "saveur du néant" à propos de l'odeur de la poudre, est-ce que ce militantisme lui a coûté cher dans sa vie d'homme, a-t-il été censuré ou inquiété ?
Probablement, mais c’est un homme discret qui ne parle pas de sa vie personnelle. Il est certain que dans les années 82-88 quand il était à Paris, il était heureux de vivre dans l’anonymat, car de Tunis au Caire, il ne pouvait pas s’asseoir à la terrasse d’un café sans être entouré d’admirateurs. Certains de ses textes ont été critiqués surtout lorsqu’il s’essaya à un style plus moderne, lors de son passage à Beyrouth (78-82), mais il n’y eut pas de censure à proprement parler. Par contre, un scandale, oui, la fameuse " affaire du poème " qui a vu le premier ministre israélien intervenir à la Knesset : incroyable pour un simple poème qui dénonçait la répression odieuse de Tsahal contre les premiers enfants de l’Intifada. Mais là, magie du texte, une levée de boucliers, dont des intellectuels, des journalistes et même un général israéliens se sont rangés de son côté. Comme quoi un mot bien placé peut faire tout autant de dégâts que les attaques des feddayin, et cela les sionistes ne le supportent pas, car autant ils trouvent facile de dénoncer le terrorisme, autant dans l’argumentation politique, philosophique de leur engagement, ils sont beaucoup plus limités. Leur théorie étant basée sur l’exclusion il est difficile de répondre à un discours de tolérance qui dénonce cette hérésie d’une terre sans peuple.

17. Est-ce qu'il y a une nouvelle donne mondiale depuis le 11 septembre ?
Malheureusement oui, mais elle est tout le contraire de ce qui aurait du se produire. Ce qui me laisse à penser que les théories les plus extravagantes sur les origines des attentats ne sont sans doute pas loin de la vérité. Il n’y a plus aucune humanité depuis le 11 septembre, il y a deux blocs : les amis des USA et les ennemis des USA. Adieu nuances, différences, dialogue des cultures … Si vous ne pensez pas comme Bush on vous taxe de terroriste ! Cela pourrait faire sourire, surtout lorsqu’on lit la définition de Noam Chomsky : " Qu’est-ce que le terrorisme ? Dans les manuels militaires américains, on définit comme terreur l’utilisation calculée, à des fins politiques ou religieuses, de la violence, de l’intimidation, de la coercition ou de la peur. Le problème d’une telle définition, c’est qu’elle recouvre assez exactement ce que les Etats-Unis ont appelé la guerre de basse intensité, en revendiquant ce genre de pratique. " ; et voilà … CQFD. Alors quand je lis à la une du Monde " nous sommes tous des américains ", signé JM Colombani, je me demande : soit il est idiot (ce qui n’est pas le cas), soit il nous prend pour des idiots, ce qui est intolérable ! Surtout venant d’un tel journal : au lieu de proposer une alternative comme l’a fait Ignacio Ramonet dans le Monde Diplomatique et de faire notre auto-critique en nous ouvrant aux autres, l’Occident aboie derrière les USA et se referme sur son identité " exceptionnelle ", c’est dramatique. Depuis le 11 septembre, le monde intelligent a fait un bon de cent ans, au moins, en arrière …

18. Par votre histoire et votre vécu, vous êtes un des témoins privilégiés du conflit israélo-palestinien, est-ce devenu pour vous un combat personnel ? Comment agissez-vous ?
C’est un combat personnel dans le sens où je me situe comme citoyen de la Méditerranée, et que ce conflit déshumanise notre espace. C’est un conflit personnel en tant qu’être humain car la situation des palestiniens est injuste, on ne peut rester là à regarder confortablement assis dans son fauteuil le monde partir à la dérive ; mais je suis tout aussi intransigeant et virulent contre les anglais en Irlande du Nord, contre les américains en Irak, contre la Chine au Tibet, etc. Je suis plus sensibilisé par le Proche-Orient car c’est ma famille. Ma femme et ma fille sont arabes, je suis un fils du sud, je me bats pour la paix dans le sud d’abord, mais je continue de suivre aussi ce qui se passe ailleurs.
Mon action s’entend sur plusieurs plans : je milite pour une paix juste et durable en informant, en essayant d’expliquer que l’ennemi est unique, c’est le sionisme (lire de toute urgence " sur la frontière " de Michel Warschawski, l’israélien qui a été le plus emprisonné en Israël pour … main tendue aux Palestiniens), qu’il n’y a pas de querelles à avoir entre ethnies (d’ailleurs il y a des chrétiens et des juifs palestiniens, et même au sein de l’OLP, j’en connais) car nous avons tous une culture commune, l’ennemi c’est cette doctrine politique xénophobe qui nie l’Autre. Heureusement, il y a de nombreux juifs qui pensent comme moi, des israéliens aussi, dont ces fameux " nouveaux historiens " qui réécrivent l’historie d’Israël avec le juste regard de l’Histoire, sans partie pris, et qui rendent leur dignité aux victimes palestiniennes.

19 . Que faut-il lire de Mahmoud Darwich, à part votre livre, bien entendu ?
Tout ! Si vous êtes curieux … Sinon l’anthologie en " poésie Gallimard ", c’est en poche donc pas cher, petit, que l’on peut emporter partout … Les incontournables, à mon sens : " au dernier soir sur cette terre " (poésie) et " une mémoire pour l’oubli " (récit du siège de Beyrouth vu par un poète qui parle avec les fantômes, extraordinaire !).

20. Qu'est-ce qui fait écrire François Xavier ?
Si je le savais … je n’écrirais pas (rires) … Une envie de lire ce qui n’existe pas (quand j’étais petit, j’ai débuté à 13 ans avec un roman d’aventures), un moyen de séduire les filles (plus tard au lycée), la seule façon de ne pas mourir (lors de mon premier chagrin d’amour), le plaisir des mots, puis le virus s’est développé … mais il y a des jours où j’aimerais faire autre chose, c’est un plaisir masochiste : quand vous n’écrivez pas vous culpabilisez et vous angoissez, quand vous écrivez vous avez cette boule dans l’estomac qui fait mal, vous angoissez aussi, surtout à la relecture ; puis vous êtes mort de trouille quand le livre paraît ou quand on vous demande d’en parler ; mais il y a un certain plaisir, quand même, quand je me lis car j’ai la faculté de tout oublier. Mon cerveau efface systématiquement ce qu’il vient de produire : facile pour les corrections car lorsque c’est mauvais je biffe sans hésiter, comme lorsque je lis un manuscrit pour la collection que j’anime, je corrige sans état d’âme ; et donc quand je reprends un ancien livre je me (re)découvre ; c’est en quelque sorte une analyse en permanence, je suis mon propre psy … Heu, combien je vous dois docteur Vignale pour la consultation ?

AUTEUR : Frédéric Vignale DATE : 14 mai 2002