François XAVIER



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Salah Stétié

Poèmes choisis

Nous sommes très honoré du cadeau que nous a fait Salah Stétié en nous offrant la version manuscrite du poème Œuvre, ainsi que "Ne parlant qu'à la pierre" qui fût écrit il y a seulement quelques mois est qui est inédit.

OEUVRE


Quand toutes les tristesses auront brûlé
Amour, ne restera que l'aubépine
Pour dire l'aube avec les anges de la face
Et les draps d'herbe où vient parfois la lune
En des statues d'eau pure : amour,
Amour, ne restera que l'aubépine

Et le goudron ; amour, que l'aubépine
Illuminant la courbe, illuminant
La courbe de la femme et l'ange de sa face
Et toutes flammes de sa langue dans l'esprit
Langue dorée de nuit
La rose de ses jambes fait la nuit

Et le goudron. Langue, lampe, balbutient
Et voici la pierre cassée, le pain de l'être
Le voici mis sur la table sur cette table
Même et la même et nous les regardons
L'épaule lourde d'un violon, bois détruit
Dans le jardin.


NE PARLANT QU'A LA PIERRE

Celle qui va contre le vent l'épaule courbe
Elle est nocturne avec le cheval de ses jambes
Brisant la flamme enracinée en agonie
De cendre et de pur sable et de racines
Les étoiles tenant avec leurs mains la grille
Et regardant le froid tomber sur l'herbe noire
Touchée du feu, herbe aimée de la nuit vive
Sous la poussière céleste qui va s'éteindre
Puis mourir pour laisser briller l'esprit
Plus pur enfant que sa prison ses yeux de larmes
Dominant le Néant enfin néant le monde
Enfin livré à des armées passantes
Autour de la lampe restée dans la maison
Abandonnée et ne parlant qu'à sa pierre

"La lampe, lampe, dit l'aveugle, de loin venu
Très seul et porteur de musique, oui, c'est la lampe
Serait-elle encore allumée près du puits ?
Je tends la main vers votre table et c'est un fruit
Que je prends et qui viendra brûler ma bouche
Quand tous les fruits seront oubliés et perdus
Ce dernier fruit, poire ou raisin ou pomme,
Il restera dans ma parole intacte
Pour ceux qui n'ont jamais connu de fruit"

Le vieil homme ayant dit, sa bouche est un soleil
Et les soldats, les soldats aussi ont peur
A cause de cet or inespéré qui tombe
Ils sont dormeurs à l'abri des noyers forts
- Et la tristesse est dans leur sang un lis -
Errants dormeurs dans la nuit où ils attendent
L'arrivée courbe de leurs femmes sous le vent
Avec un saignement de mûres entre les jambes
Femmes couvertes par l'orage sexe nu
Brûlées par la disparition de l'homme

Rêveuse est celle-là
A l'ombre du grand sable
Et son corps d'oasis est brouillé par le vent
Le lac profond de ce qu'elle est est dans la pierre
Et donne aux anges du feu leur nom de pluie
C'est ici l'oasis ô femme ô vaine herbeuse
Avec l'aisselle herbue et la rivière
De ta joie forte et ce fracas d'emmêlement
De durs roseaux absolus par le désir
Ardeur de ces roseaux majeurs rompant la femme

Je salue le temps l'océan sa main de cuivre
Car il finira lui aussi par s'effacer
Toutes villes, ivres d'absence, le salueront
La femme absente marchera sous le vent dur
L'amande ouverte de son ventre désœuvrée
Impurement elle aura des mains de neige
Et son épaule aussi sera de fille impure
Fille rêvant d'un grand cheval surgi du feu
Où flambe sa crinière aussi de femme grande
En lieu de sable et de désir sous l'amandier
Blanchi par le hennissement des terres

Oh, mate et brune et tachée par le soleil
Est cette femme avec le lait, sa nourriture
Ses pieds sont épurés par l'éclat du métal
Et l'Arabie est celle entre ses seins
Qui vient dormir et manger le feu des seins
Son ventre est l'enfant du cheval ses dents sont noires
Elle a sa main pour protéger son œil des lunes
Ses jambes tombent dans l'étreinte et de ses plis
Monte soudain le cri d'oiseau, l'épervier mûr
Clou du soleil dans le dernier carré de cendre

Enfin la voici qui se lève et les scorpions l'ont habillée
De leurs constellations cruelles, la voici l'homme
Avec le jardin de son corps formé en femme
Qui ferme avec douceur ses yeux de songe
Sur ce sable à peine effleuré par la nuit
Où elle avance, barque désarrimée ou morte
Vers le céleste cygne éparpillée du monde
Innocent par amour
Et qui, dans le secret du sens, est son vrai bien

Le désert est partout sous le chant de la flûte
Plusieurs marins se sont déjà laissé dormir
A cause, entre eux, de la fête indivisible
Et de ce feu, entre eux, qui est la fin du sable
Sous l'assemblée debout des vents muets
A qui sera rendue justice, leurs yeux de verre
Observant par-delà le fil de l'horizon
La majesté du cheminement d'un insecte

Et nous voici ô mon amour face à face
Entre nous la très faible étoile d'une pluie
Nos mains sont prises de lumière et elles vivent
A travers le sable du jour et sa poussière
"Il faut dépoussiérer le sable", disais-tu
Et voici à la fin venir la neige
Voici, entre nous, la colombe décapitée

Nous avançons avec des chiens qui font silence
Vers une pierre ensevelie dans l'illisible
Et seulement elle est brûlante et seulement
Abritée par les hauts oiseaux du très haut ciel
Gardien du dieu de la contrée avec le taureau de ses ailes
Sous la lune, sous la violente lune, sous le soleil
Et ces fleurs, ces soucis, toutes ces fleurs
Autour imagineraient de ton visage
Allant avec le mien vers le lit du néant

Le prince de ce sable
Il est prince profond d'antiquité pierreuse
Avec des chats avec des pluies avec des roses
Derrière un scintillant silence d'intuition
De rien de rien de rien sont ses nuées perdues
A la limite de l'esprit mortes d'images
A la limite où le prince au nez cassé
N'a jamais vu d'images
Mais seulement la disparition de toute image

Et pourtant mon amour il y avait ce cheval
Avec son long hennissement d'azur
Et toi tes jambes fortes
A nouveau les voici marchant dans les prairies
Par les rues de la ville
Ni toi ni moi ni le cheval de cette ville
N'avons rencontré le poète et son enfant
Je porte en moi ô mon amour cet enfant mort
Comme un bouquet un fagot un enfant mort
Pour le donner aux rusées constellations
Qui vont bientôt s'éteindre

La lune et sa flûte impossible de lune
Son verger d'amandiers
Avec la neige autour de l'absolu des tombes
Soudain voici l'automne avec des pommes
Tout va se réveiller dans les yeux pleins de larmes
L'étonnement est enfin le roi du monde
Et déjà le sable a séché jusqu'au sel

Nuages oh mes nuages
La parole est-elle flèche en vous et l'arc-en-ciel
Dans les mains du poète chauve et ses doigts d'or
Qui sait la douleur de l'étoile en solitude
Et qui, la nuit venue,
Ira s'asseoir à côté d'elle et partager le lait ?

Rosiers, rosiers, rosiers !
Mettez fin à ce sable
Le cœur est coquillage avec le bruit des mers
L'océan s'étant retiré dans la douceur
Avec ses pieds d'hommes et de femmes

J'avance avec, entre les dents, l'épée du vent
Ce cœur vivant en moi ses racines tordues
Vers un nid de fourmis
Loin des arbres, dans la mélancolie des arbres,
O cœur vivant vas-tu prendre racine
A l'envers d'une terre impure allant aux sources
Et te laver dans la source enfin lavée ?

J'avance avec, entre les dents, l'épée du vent
Vers la nuit de l'esprit voilée d'insectes
Et tout ce ciel perdu au-dessus de la mort
Pour l'invention d'un désert impossible
Flûte impossible de la lune, flûte impossible de la vie
Ici où fût réglée puis ventilée la palme
Musique et mathématique œuvres de flamme

Beauté abstraite des falaises de tes jambes
Avec le long jasmin de leur malheur
Dans ce pays de rossignols près de la mer
Et le rossignol est un aigle : il parlera
Langage d'aigle avec le vent des sables
Au sommet de la dune
Où tient le point de l'écroulement du sable

"Quand la mémoire va au bois, cela fut dit,
Elle ramène un joli fagot"
Ici tout est mémoire
Ici ici tout est enfin mémoire
Il faut trouver l'issue
Il faut trouver l'issue
Il faut trouver l'issue

Inédit

VISAGE EN TROIS (extraits)
(copyright Salah Stétié)


I


Quand l'attente menace
Dans la chambre du seul l'éclat des seuils
Ce qui vient sera gouverné

Quelques-uns ont l'intuition de la cendre
Dans la nuit fine et raffinée de cristaux
Ceux-là disent des mots sous le risque

Etoile et tour et lion
Nous défendrons contre le château de leurs plumes
Tombé sur nous avec ses murs et l'ombre froide

V


La tête est dans la tête et la lune est dehors
Pour vendre une lumière à des enfants de pierre
Dont la mère est de pierre
Et la main est dehors et porte une lumière
Dans les aveugles pierres

Dans les plis froids de l'arbre
Un arbre en morceaux froids
Entend grandir la pierre
Entend grandir la pierre

Entend grandir la pierre

La main s'est alourdie sur vous, barque de houille,
Lourde femme assoupie désarmée par la terre

L'oiseau s'est replié
vidé
de
sa
respiration

mais où va l'air ?

Un coup te brisera, vertèbre - si tu bouges

VIII


Des astres s'émiettaient sur l'avenir
Peu nous connurent, j'ai la main longue en fruits,
Et nous avons peut-être aimé ce lit
Avec ses draps repris par l'eau du monde
Au noir pays où la rose a si mal
Sous la neige ah ! tout détruit, chevaux et temps ...
Glaive en ce cœur et le sang recueilli
Donné aux lampes d'une nuit sous les feuillages

Les avenues furent brouillées par les abeilles
Fondant le paysage au paysage
Sur notre traversée où les étoiles
Firent de l'araignée prière sombre

La femme a dit les derniers mots puis l'arc
Ouvert elle a marqué l'oiseau d'un feu
Et tout cela s'est perdu au détour
Du fleuve avec la lune

X


Des femmes sont entrées avec des fruits
Sous l'arche d'une mémoire consumée

Par elles je m'adossai au vin d'oubli
Jusqu'à la nuit où tout redevint grappe

Alors j'ai dit son nom à la voix de la terre
Parce qu'un fleuve était ce fleuve
Dans l'esprit

XIV


Les villes de roucoulement de colombes
Seront réduites par le feu et seront
Avant l'apparition de l'éclair
Dressées de cendre et présentées au vent

Leur feu ! gosiers rosiers criblés de pluie
Vers la lumière étroite et le seuil froid
Jusqu'à la mer éclatée en grandes portes
Debout sollicitant l'ombre des fruits

Puis au-dessus du noir dahlia de vivre
Quelque chose s'est éclairé. On vint
Nous avouer fiancés dans la coutume


FIEVRE ET GUERISON DE L'ICONE
(extraits - 3 poèmes)


JARDIN DE L'UN


Il faut l'escargot il faut le liseron
Il faut le froid feuillage et sa rosée
Les murs aussi posés dans la lumière
Et le tissage de nos mains dans la lumière
Sous l'angle dessiné et blanc des amandiers
Où dorment un peu nos impasses - tout cela
Notre respiration
Qui va dans l'infini se nuire et nous dissoudre

Ici je suis. "La lune est mon enfant" (la lune ?)
Comme cela fut dit
Ma toute nuit si tendre par l'éclat
Très doucement mon épouse, ma fille
Dans ce lit de roches rompues, muscles noués
Lit de violence naturelle et draps du vent
Cirque de pierre malheureuse et conque fille
Sur qui passe et repasse
L'ombre du rapace inconnu de la mort

Voici enfin l'arrivée des nuages
En qui se fait et se défait la lampe fille
Déjà née de demain ô lampe rouge
En verticalité de jour nocturne
Sur la maison de feu des fous du rêve
Leurs draps tordus comme des nébuleuses
Leurs yeux délégation d'oiseaux vers le centre

Ma fille ma colombe
A toi de toi par toi l'étranglement
Cette lampe de givre
Toi-même à demi dénudée sous la feuille
De ce jardin de l'Un
Où va ta nuit aimer ta transparence
Mille fois mon cœur cela brille
Cicatrice incicatrisable et qui palpite
A toi de toi par toi l'étranglement
Sous bien de pluie tombée
En qui sommeil avec le soleil nous dormons


VILLE

La rose s'est égarée dans ses méandres
(L'amour du ciel absent)
Au centre de la ville il y a peut-être un centre
Une fontaine triste, un millier de colombes
Eclairées, éclairantes
Qui sont la braise de ce tombereau d'étoiles
- Il fait pourtant très froid sur les collines

Brûlure est cette ville et dans ses cils
Il y a une eau qui tremble
Rêvant d'un frais cheval rêvé par les colombes

Il faut vieillir sous les rosées du temps
Pour respirer nombreusement la rose
Pour respirer la rose avec la pierre

Et chaque femme au crépuscule est un cri


INSTRUMENTATION DES NUAGES


La chatte est là, elle regarde la vie avec tristesse
Et ma mère en mourant avait l'air étonné
Il y avait pour la saluer la lune insigne
Celle en toute langue tuée
La rose aussi qu'on aime pourpre calcinée
Qui est douleur de l'eau douleur du monde
Douleur de l'eau autour des bateaux frais
Comme un visage s'en va, grille fermée
Et, quelque part, les choses font silence
Légères d'être dures

Puis la beauté dans les maisons
Fraîches et pures, ouvertes, fraîches pures
Avec leur clés dormantes qui dorment
Dans l'expression du rêve
Tous éléments de leur fluidité clés vides
Ici où nous voici plusieurs
Confiant, inexpliqués, notre force au taureau lumineux
Debout dans la violence des cascades

O beauté des maisons, beauté du songe
De ces maisons dans la folie des montagnes
Avec leurs barques de fleurs inutiles

Traversant des tranches d'eau froide
Où les oiseaux sont chez eux et les nuages
Plus grands de ce côté du cœur
Celui-là même où vient reposer le couchant
Le paysage ayant rangé ses outils :
Autant de cils brûlés par la compassion

Et ma mère en mourant avait l'air étonné
Sa main soudain très grande approchant l'arbre
Du pur dehors, avec les feuilles vaines
Se mélangeant au feu de sa détresse
Comme une lampe indestructible flambe
Au détour du chemin
Fraîche pourtant d'éclairer le chemin

Chemins de la démence de la mort
En ses maisons désertes habitées
A travers elles, maisons, et jusqu'aux astres
Il y a, restée, la grande transparence
Sa violence immobile
Guitare d'eau absolue et profonde
Comme une fille établie dans son profil
Et que voici
Femme tentée par la violence de la mort

Femme tentée par le violence de l'esprit
Et que voici
Avec ses rides, avec la rose de ses cils
S'abreuvant douce à la racine des nuages
Et quels nuages ? Sont rêves de l'esprit
Tous les nuages de la dormition promise
Aigles ouverts sur l'eau du monde


LA NUIT D'ABOU'L-QUASSIM

Nouvelle
(copyright Salah Stétié)